La ville dormait encore lorsque je l’ai traversée pour aller prendre mon train. et la gare est quasiment déserte. Tant mieux. Il m’en a coûté de me lever si tôt mais au moins j’évite la cohue des heures de pointe.
Je suis arrivé en avance et, après avoir pris un double expresso à un automate, je me poste sur un des îlots en face du tableau des départs. Je pourrai ainsi surveiller la mise à disposition de mon TGV du coin de l’œil. Car, je dois l’avouer, mon attention est déjà prise. J’ai vu cette superbe brune descendre d’un taxi quand je suis arrivé sur le parvis et, depuis, je m’arrange pour l’avoir en permanence dans mon champ de vision. La quarantaine, plutôt grande, presque autant que moi, des cheveux ondulés qui cascadent sur ses épaules, une silhouette en courbes bien dessinée, elle a vraiment tout pour retenir mon attention. Il reste toutefois hors de question d’aller l’aborder : je me cantonne donc à mon rôle de voyeur.
Mon quai vient d’être annoncé. Je retourne prendre un café pour la route puis je me dirige vers les portiques d’embarquement. Elle est là, deux personnes devant moi. Que nous prenions le même train n’a en soit rien de surprenant, c’est le premier départ de la journée. Je me prends toutefois à rêver de me retrouver dans la même voiture qu’elle et, pourquoi pas, à des places voisines. Las. Elle poursuit son chemin alors que je suis arrivé à mon wagon. Je monte et prends place, un peu déçu. Ma machine à fantasmes s’était un peu emballée et le retour sur terre est un peu rude.
Je roule désormais depuis une demi-heure quand une subite fringale me prend. Je n’ai pas pris le temps de prendre quoi que ce soit de solide à mon lever et je commence à le payer. Une seule solution : filer à la voiture bar prendre une collation. Les tarifs y sont prohibitifs mais tant pis. Cela me servira de leçon pour mon prochain voyage
Il y a déjà du monde qui attend. Dont ma brune de tout à l’heure qui est en train de passer commande. Je prends ma place dans la file, ravi de cette nouvelle opportunité qui m’est offerte de la contempler. Elle reste sur place et va s’asseoir sur un des tabourets tandis que j’attends mon tour d’être servi. Quand il arrive, je prends une bouteille d’eau et une viennoiserie. Je n’ai pas encore envie d’un nouveau café. Puis je jette un coup d’œil rapide. Il ne reste qu’une place, non loin d’elle mais suffisamment à distance pour ménager son espace vital.
Je m’installe et commence à grignoter. Quand je la vois lever les yeux vers moi avant de se lever et de s’approcher.
— Je dois m’absenter un instant. Auriez-vous l’amabilité de garder mes affaires ?
Elle me désigne du menton son sac qu’elle a laissé posé sur le comptoir. Je l’assure de ma vigilance puis elle disparaît. Quand elle revient elle a un gobelet fumant dans chaque main.
— Je me suis dit que vous aimeriez prendre un café. Il est encore très tôt et il faut charger ses batteries pour la journée. Je vous devais bien ça pour le service que vous m’avez rendu.
C’est finalement elle qui m’a abordé. Et elle me déballe sa vie. Son métier de consultante qui l’amène de plus en plus fréquemment loin de chez elle, les difficultés que ça génère dans son couple, ses envies d’ailleurs. Je suis frappé par la similitude de nos situations Je lui en fais d’ailleurs part quand elle me demande de l’excuser pour m’avoir ennuyé avec ses petits soucis, comme pour l’assurer qu’il n’en est rien.
Et la conversation reprend. Les minutes passent. Nous nous racontons tout avec une incroyable facilité qui me trouble. Moi qui n’ai pas l’habitude de me confier, je suis comme un livre ouvert devant elle. Et je dois avouer que ça me fait du bien. Je lui raconte tout. Jusqu’à certaines de mes expériences de soumission lors de soirées en club. Elle boit mes paroles avant de me dire tout de go qu’il faudra absolument qu’elle m’accompagne la prochaine fois que j’irai. Elle a des envies similaires aux miennes mais n’a jamais osé sauter le pas. Je suis surpris et flatté par sa confiance. Nous semblons hélas être du même côté de la cravache et je me dis que nous jouerons chacun de notre côté. Mais ce sont de nouvelles perspectives qui s’ouvrent si nous sommes amenés à nous revoir, ce qu’elle a l’air de désirer.
Ma destination vient d’être annoncée dans les hauts parleurs. Il me faut regagner ma place afin de prendre mes affaires. Je vais donc devoir la laisser. Non sans regrets. Au moment des au revoir elle prend ma main et me remercie de ce moment passé en sa compagnie. Avant de déposer un léger baiser à la commissure de mes lèvres. Puis elle me tend une carte.
— Tu as intérêt à m’appeler dès que tu remontes.
Je suis touché par son tutoiement. Je le lui dis. Elle sourit. Et me dit de filer sous peine de louper ma descente. Je m’exécute, non sans lui adresser un signe de la main avant de quitter la voiture bar. En guise de réponse, elle embrasse le bout de ses doigts et souffle dessus dans ma direction.
Une fois sur le quai je prends son bristol. Et lui envoie un SMS que je n’ose pas encore ponctuer d’émojis affectueux. Elle ne se gêne pas pour en égayer sa réponse. Je suis heureux. Je ne sais pas encore si je me suis fait une nouvelle amie ou plus mais ce retour dans le sud restera gravé dans ma mémoire. Cette escapade va peut-être changer le cours de ma vie. Nous verrons bien. Il me reste à présent à reprendre mon quotidien.